Dans une époque dominée par le numérique, la typographie renaît grâce à des passionnés comme Cédric, fondateur du typographe à Bruxelles. En redonnant vie à cet artisanat ancestral, il transforme son atelier en un espace vivant où se mêlent presses typographiques d’époque, odeurs d’encre et papiers d’exception. Chaque création raconte sa propre histoire.
Rencontre avec un passionné qui conjugue mémoire et créativité.
Cédric, un typographe, qu’est-ce que c’est ?
C’est un métier, mais c’est aussi un petit coléoptère ! Les entomologistes qui l’ont découvert lui ont donné ce nom car il creuse, sous l’écorce des épicéas, des galeries qui font penser à une écriture.
Mais au départ, la typographie est un métier d’impression traditionnelle où chaque lettre est un caractère mobile en plomb, repositionnable et réutilisable. C’est Gutenberg qui a inventé cette technique. L’impression, elle, existe depuis la nuit des temps. Le premier individu qui a mis sa main dans la terre et l’a ensuite plaquée contre une paroi rocheuse a fait de l’impression !
Quel a été ton premier contact avec la typographie ?
Je n’ai pas de formation en imprimerie, mais j’ai eu un coup de cœur pour cet artisanat à l’époque où je faisais mes études aux Beaux-Arts à Besançon. Il y avait un typographe, Pierre Voisin, qui habitait dans le sous-sol avec ses machines et ses lettres en plomb. Il m’a partagé son savoir et son savoir-faire en typographie. J’ai beaucoup aimé le côté « Lego », car il faut assembler les lettres pour former un tout. J’aime beaucoup aussi le caractère sériel et répétitif de l’exercice.
Comment as-tu décidé de faire de la typographie ton métier ?
Cela s’est imposé à moi. Je passais un post-diplôme en dessin à l’Académie Royale de Bruxelles quand le directeur de l’école des Beaux-Arts de Besançon m’a demandé de venir récupérer tous les caractères en plomb ce que j’avais entreposés dans les sous-sols de l’école, car ils faisaient des travaux. A ce moment-là un imprimeur de Bruxelles avait une presse de typographie à donner. C’était le moment favorable !
le typographe s’est alors posé rue Américaine ?
Au départ, je me suis installé dans le quartier Brugmann, dans un atelier qui avait l’avantage d’avoir une porte suffisamment grande pour faire entrer la presse de typographie ! Mais au bout d’un an, j’ai commencé à être à l’étroit car j’avais accumulé beaucoup de caractères en plomb, et récupéré d’autres machines provenant d’imprimeries qui changeaient de technologie. J’ai alors trouvé un lieu propice, rue Américaine, un endroit qui était à l’origine une imprimerie et qui dispose d’un espace boutique et d’un atelier. On y entre par une belle porte cochère.
Encore aujourd’hui, vous continuez à travailler sur ces mêmes presses de typographie d’époque et manuelles ?
Absolument, elles sont le cœur du typographe. Elles pèsent 800 kilos. En fonte, pratiquement increvables ! Très mécaniques. Leur bruit est très beau. Elles sont comme habitées d’une pulsation.
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A l’heure du tout numérique, pourquoi avoir fait ce choix de l’artisanat ?
Je tenais à sauver ce patrimoine. C’est un choix de niche, qui offre une grande liberté malgré un cadre très précis, lié à la technique de typographie. Par exemple, il n’est pas possible d’imprimer des photos. J’ai choisi de rester dans ce cadre et de développer l’univers du typographe en tenant compte des contraintes et en y apportant de la créativité.
Comment s’exprime la créativité du typographe ?
Elle s’exprime à travers les papiers, les couleurs, les designs, les produits qui sont le reflet de notre époque. Ma première source d’inspiration est le vivant : une plante, une rencontre, un paysage… ce qui m’entoure d’une manière générale. Par exemple, j’ai lu un jour un graffiti sur un banc à la gare d’Aix-en-Provence « Les filles sages vont au paradis, les autres font ce qu’elles veulent ». Cela m’a plu, je l’ai repris dans une carte. L’accident est intéressant également. Pour la St Valentin, nous avions prévu d’imprimer une bouche sur une carte. Mais au moment de l’impression, lors du deuxième passage de l’encre, la feuille a bougé. Le résultat a été 2 bouches l’une sur l’autre, légèrement décalées… Nous l’avons gardé comme cela ! Il faut garder l’esprit ouvert et sentir les choses.
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Pourquoi choisir d’écrire une carte ou d’utiliser un cahier plutôt qu’envoyer un mail ou un SMS ?
Je crois profondément que les deux ont leur place. L’écriture sur papier a une valeur émotionnelle forte. Recevoir une lettre ou tenir un carnet dans ses mains procure une joie que le numérique ne peut pas remplacer. Le papier engage nos pensées différemment : il fixe les idées. Et c’est un devoir de mémoire aussi ! Tous les logiciels de traitements de texte que l’on utilise aujourd’hui ont été développés d’après les mesures et les bases de la typographie. Les tailles de lettres, les styles de police, ont été à l’origine créés en plomb pour la typographie et ensuite retranscrits en langage binaire pour l’informatique.
le typographe est un véritable atelier vivant. Quelle importance accordes-tu à cet aspect ?
L’atelier n’est pas un musée figé. C’est un lieu où la mémoire du métier continue à évoluer. Nous testons constamment de nouvelles idées : de petits tirages, parfois 50 ou 100 exemplaires, pour voir ce qui plaît. Cette souplesse est notre force. Le retour des clients et de l’équipe est précieux : c’est un vrai dialogue entre nous qui créons les objets et ceux qui les reçoivent.
Comment se déroule la fabrication en typographie ?
Tout commence avec le papier, une matière première essentielle qui a fait l’objet d’adaptations très importantes ces dernières décennies pour répondre à des contraintes écologiques. Nous collaborons avec des usines européennes et japonaises qui mettent en avant des techniques artisanales et ancestrales. Une fois le papier reçu, il est découpé, gravé avec des moules en laiton ou polymère, puis imprimé sur nos presses manuelles. Chaque produit est unique, fruit de nombreuses étapes artisanales : jusqu’à 30 étapes pour certains carnets, du choix du papier à la gravure des moules.
Quels sont vos produits phares ?
Nous proposons des carnets, blocs-notes, agendas et cartes entièrement fabriqués à la main. Parmi nos créations les plus appréciées, le mini-bloc cœur est emblématique. Il a rencontré un tel succès que nos clients nous le réclament dès qu’il est en rupture.
A consulter… le mini bloc coeur
Un autre exemple concret de l’utilité du papier, c’est l’agenda. Alors que tous nos agendas électroniques peuvent se synchroniser, nous n’avons jamais autant vendu d’agendas papier. Il existe ce besoin de toucher le papier, d’écrire ses rendez-vous, de prendre des notes, de fixer ses pensées.
Quels rôles jouent les membres de l’équipe dans ce processus ?
Nous sommes 12 à travailler au typographe. Chaque personne apporte sa passion et son savoir-faire à la typographie. Certaines travaillent à temps plein, d’autres à temps partiel. Ce mélange d’expériences enrichit l’atelier. Par exemple, Nathalie, qui est avec nous depuis 16 ans, a une capacité extraordinaire à transformer mes idées en réalisations concrètes. Nous fonctionnons comme une petite structure où la collaboration est primordiale.
Conclusion
L’interview de Cédric, fondateur du typographe, nous emmène au cœur de l’univers de la typographie où cohabitent artisanat, passion et innovation. À l’heure du numérique, cet atelier vivant incarne une véritable résistance créative, en valorisant l’émotion unique du papier et la transmission d’un savoir-faire ancestral qui a encore de belles pages à écrire.
Interview réalisée d’après le podcast : J’aime quand vous souriez, de Ysaline Nicol